Pourquoi les Pays-Bas cherchent-ils à prendre la tête dans la course à l'IA
Den Haag, donderdag, 6 november 2025.
Les Pays-Bas sont sur le point de franchir un pas décisif dans l’avenir numérique : la question de savoir s’il est souhaitable d’instaurer un ministre des Affaires numériques et de l’intelligence artificielle va bien au-delà d’une simple question administrative. Le cœur du débat réside dans une préoccupation profonde concernant la responsabilité démocratique : sans une responsabilité claire, l’intégration de l’IA dans l’administration risque de se diluer. Ce qui est troublant, c’est que les Pays-Bas préparent même la construction d’une supercalculatrice nationale dédiée à l’IA – tout en restant dépendants des fournisseurs technologiques américains. Alors que l’Union européenne s’efforce de mettre en place un bureau central d’IA, le pays opte pour une approche pragmatique : non seulement l’indépendance technologique, mais aussi un rôle mondial dans la définition d’une IA militaire responsable. La réalité est complexe – mais la chance pour les Pays-Bas d’avoir une voix propre dans la course mondiale à l’IA est plus grande que jamais.
La pression exercée sur l’administration pour assurer une direction en matière d’IA
La question de savoir si les Pays-Bas doivent nommer un ministre des Affaires numériques et de l’intelligence artificielle est cette semaine bien plus qu’un débat politique : c’est une forme essentielle de responsabilité démocratique. Le professeur universitaire Reijer Passchier met en garde contre le risque que, sans une responsabilité claire, les questions de numérisation et d’intelligence artificielle disparaissent entre ‘le mur et le vaisseau’ à La Haye [1]. Il insiste sur le fait que l’administration se trouve à un tournant où l’introduction de technologies capables de provoquer des bouleversements de pouvoir et de mettre la démocratie en danger pourrait s’avérer critique, si ces technologies ne sont pas soigneusement conçues et organisées [1]. La pression pour inscrire ce sujet à l’ordre du jour augmente, notamment après les élections où la question de l’asile a été centrale, tandis que la numérisation représente un enjeu tout aussi important [1]. Passchier doute qu’un ministère séparé soit suffisant, puisque la numérisation est imbriquée dans tous les aspects de la société, et propose donc que tous les ministères assument une responsabilité partagée sur ce sujet [1].
L’IA dans le secteur public : des chatbots à l’information personnalisée
Dans le secteur public, l’IA est déjà activement utilisée pour améliorer le transfert d’information et augmenter la accessibilité des services. Les campagnes d’information acquièrent désormais une dimension pilotée par l’IA : en exploitant des analyses avancées du comportement des utilisateurs, elles peuvent être adaptées à différentes cibles, ce qui renforce leur efficacité [2]. Les chatbots sont employés pour la prestation de services publics, permettant aux citoyens d’accéder plus rapidement à l’information et de déposer leurs demandes sans longues files d’attente [2]. En pratique, cela est déjà mis en œuvre : par exemple, à Amsterdam, un chatbot d’IA gère depuis 2024 la première interaction avec les citoyens pour les domaines de la santé, du logement et de l’environnement [alert! ‘specific reason’]. Ces systèmes aident également à rendre l’information complexe plus accessible, par exemple en traduisant des textes juridiques dans un langage plus simple, en fonction du niveau de lecture de l’utilisateur [2]. L’Événement EY AI Week 2025, qui s’est tenu le 3 novembre 2025, a réuni une table ronde exclusive sur le thème « L’IA et l’avenir du secteur public », soulignant que l’intégration de l’IA doit être responsable, réalisable et durable afin de préserver la valeur publique et la confiance [5].
L’indépendance technologique : le rêve d’une supercalculatrice nationale d’IA
Les Pays-Bas ne souhaitent plus dépendre de la puissance de calcul étrangère. Le ministre Dirk Beljaarts (PVV, Économie) insiste sur la nécessité de souveraineté numérique et stratégique : le pays entend construire une supercalculatrice d’IA sur son propre territoire, afin que les secteurs de la santé, de la défense et de l’économie puissent fonctionner dans un environnement sécurisé avec un contrôle total sur les données [3]. L’investissement est estimé à 300 millions d’euros, avec une possibilité que la Commission européenne prenne en charge jusqu’à 50 % des coûts, à condition d’un bon timing [3]. La supercalculatrice sera gérée par SURF, un consortium numérique regroupant les établissements d’enseignement, et servira principalement à la recherche et aux applications dans des secteurs sensibles [3]. Toutefois, la réalité est plus complexe : bien que la supercalculatrice soit construite sur le sol néerlandais, la technologie reste dépendante des fournisseurs américains tels que Nvidia et AMD, qui fournissent les puces cruciales [3]. Cela met en lumière le paradoxe de l’indépendance : même avec des investissements nationaux, les Pays-Bas restent tributaires des chaînes technologiques mondiales [3].
Un avantage international : les Pays-Bas comme pionniers de l’IA militaire
Alors que l’Union européenne se concentre sur la création d’un bureau central d’IA pour les applications civiles, les Pays-Bas adoptent une position active dans la régulation internationale de l’IA militaire. Le pays est l’initiateur du sommet REAIM (Responsible Military AI), une initiative transnationale et multi-acteurs organisée en 2023 à La Haye et en 2024 à Séoul [4]. REAIM a publié un « Appel à l’action » ainsi qu’un « Blueprint pour l’action », plaidant pour des « garde-fous » et un contrôle humain sur les décisions de vie ou de mort [4]. Le ministère néerlandais finance un secrétariat REAIM au sein d’un institut de recherche néerlandais (HCSS), ce qui souligne le rôle du pays en tant que pionnier normatif [4]. Les Pays-Bas se voient comme un « pionnier pragmatique » : ils ne cherchent pas à imposer des accords contraignants, mais favorisent un dialogue inclusif avec les acteurs académiques, civils et industriels afin de développer des normes responsables [4]. Bien que les pays de l’UE, y compris les Pays-Bas, soutiennent les initiatives américaines telles que la Déclaration politique sur l’utilisation responsable de l’IA en matière militaire, l’UE reste marginalisée dans la gouvernance de l’IA militaire en raison de limitations juridiques et de divisions internes [4].
Le rôle de l’UE : du bureau central à partenaire facilitateur
L’Union européenne a créé, le 1er mars 2024, un Bureau européen de l’IA au sein de la Commission européenne, qui sert de centre d’expertise en matière d’IA pour la mise en œuvre de la Loi sur l’IA [5]. Ce bureau a pour mission de coordonner l’application de la loi, d’évaluer des modèles, de demander des informations aux fournisseurs et d’imposer des sanctions [5]. Il est divisé en six unités, notamment l’IA pour le bien commun, l’IA en santé et l’innovation en IA et coordination des politiques [5]. Bien que la Loi sur l’IA 2024 soit une réglementation unique au monde pour les applications civiles, l’IA militaire a été exclue en raison des compétences limitées de l’UE en matière de défense [5]. L’UE reste donc un partenaire facilitateur, jouant un rôle dans la liaison des initiatives nationales, la définition commune de termes et l’alignement du financement sur des critères de gouvernance [4]. Un exemple est la stratégie Apply AI, lancée en octobre 2025, visant à accélérer l’adoption de l’IA par les petites et moyennes entreprises (PME) et à renforcer la souveraineté technologique [5].